INTERVIEW : Le festival Jardins Synthétiques, un événement qui décloisonne les arts et les publics.

A quelques jours de l’ouverture du festival Jardins Synthétiques, on a rencontré Pierric (Porteur du projet et co programmateur artistique) et Bastien (Co programmateur artistique) qui portent cet événement qui mêle les disciplines artistiques en investissant le patrimoine toulousain. Deux bénévoles à l’initiative de cet événement qui, années après années, continue de prendre de l’ampleur.

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Pierric et Bastien, crédit Kämy Dobï Dobï

Le Festival Jardins Synthétiques arrive pour sa septième édition. Comment est né le projet ?

Pierric : Le Festival est né en 2 temps. Le premier, la création d’une association avec Bastien et d’autres personnes : Call Forth. On mixait et on voulait se développer, on avait un duo qui s’appelait Clump of Trees. C’était en 2008.
Dans un second temps, on a eu l’envie de faire des trucs dans des lieux un peu décalés. De là, j’ai ressorti un projet que j’avais travaillé et que j’avais déjà tenté avec la Mairie : faire des événements modernes dans des lieux de patrimoine.

Comme la Chapelle des Carmélites que vous investissez pour le Festival !

Pierric : Oui, à l’époque il y avait aussi le Palais des Beaux-Arts, la grande pièce principale d’exposition, une salle blanche haut de plafond. Le projet, pas assez mature, avait été retoqué. C’est quelque chose que j’ai retravaillé, remis à la sauce du jour avec des acteurs culturels du moment sur qui je pouvais m’appuyer : en parallèle, je menais une émission de radio hebdomadaire, Underground Connexion, sur Campus et même avant sur Booster qui renait de ses cendres avec FMR. Dans cette émission j’interviewais des collectifs, des DJ locaux et il y avait des chroniqueurs arts contemporains, musiques électroniques et un peu de danse. Ces artistes ont fait partie du premier projet, c’était Laurent Bardèche du label “Annexia”. On avait déjà l’idée de faire quelque chose avec le Lieu Commun mais on n’avait pas réussi à cette époque-là. C’était donc la première édition du festival Jardins Synthétiques.

Bastien : On voulait vraiment s’appuyer sur des structures locales avec qui il avait bossé pendant pas mal de temps. Quand il m’a expliqué le projet, on a passé pas mal de temps à regarder les lieux de patrimoine sur Toulouse, « t’as vu cette cours de musée, t’as vu ça ». C’est comme ça qu’on avait repéré la Chapelle. On s’était fait un listing des lieux qui nous plaisaient et que les autres de l’asso avaient enrichi. On a décidé d’investir le Musée Saint Raymond, je pensais qu’on allait organiser un petit truc, on était assez novices en orga. Pierric m’a de suite dit « Non on fait un truc plus gros » et son idée de monter un projet pluridisciplinaire en ressortant son projet a pris plus de sens.

Pierric : On avait surtout une équipe, un noyau dur avec Call Forth, tout seul je ne pouvais pas le faire. Des éléments moteurs qui voulaient faire quelque chose à Toulouse. Le Festival est venu d’un constat, il n’y avait pas, autant que je me souvienne, d’événements importants qui rassemblaient les jeunes dans des lieux de patrimoine. C’était très segmenté : les jeunes, moins de 30 ans, qui écoutaient des musiques un peu électroniques dans les Parcs pour les Siestes Electroniques ou dans des lieux prévus pour ça comme le Bikini, le premier avant AZF, ou des salles alternatives. Mais il n’y avait pas ce croisement de publics, ou sur des petites expériences. C’était dommage parce que ce patrimoine nous appartient à tous, pas qu’à une niche de cinquantenaires. Toulouse a un très riche patrimoine à mettre en valeur, on voulait une passation pour que les jeunes se l’approprient. A destination des gens qui aiment le patrimoine, c’était le chemin inverse, leur montrer que vivre dans le passée c’est bien, il faut respecter nos aïeux, mais il faut aussi écouter les jeunes créateurs d’aujourd’hui qui ont des discours et projets riches.

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Le festival Jardins Synthétiques dans la Chapelle des Carmélites

L’association Call Forth est dédiée à ce Festival où vous organisez d’autres événements dans l’année ?

Bastien : On a tenté plein d’expériences. De mon côté j’ai eu l’envie de m’occuper d’artistes musicaux. C’est la musique qui me lie au festival quand même, même si j’ai participé à d’autres branches du projet. A côté du Festival donc, on s’est occupé avec l’asso du management et du booking de Tom Terrien pendant 2 ou 3 ans. De la même façon Pierric a accompagné des projets d’Arts Plastiques, on a diffusé des créations comme celles de David Brumer. Call Forth c’est le festival et aussi quelques accompagnements sur plusieurs disciplines artistiques, comme le Festival.

Pierric : C’est ce qu’on aimerait développer. Après on est très pris par l’organisation du Festival. On a même essayé de rendre le Festival saisonnier, mais c’est très dur, on est bénévoles : si on est terre à terre ça signifie qu’on n’est pas rémunéré bien entendu mais aussi qu’on a d’autres occupations à côté.

Bastien : Et puis le projet, c’est pas pour dire mais il est ambitieux quand même. On mêle plusieurs disciplines artistiques dans des lieux pas forcément faits pour accueillir des concerts, de la danse ou autre. Chaque année, c’est pas juste « tu fais ta prog’, tu vas au Bikini et tu fais ta com’ basta ». On a une grosse logistique à mener même si on est 7, 8 à être actifs à l’année. Et c’est la première année où on est autant, il y a des années où on n’était que 2.

Des débuts à cette édition 2016, qu’est-ce qui a changé dans les Jardins, est-ce que le Festival a pris un autre chemin que celui que vous aviez en tête au départ ?

Pierric : Pour l’instant sa destinée ressemble à ce qu’on avait en tête initialement. Le plan est, si on peut dire, respecté. On a énormément développé nos partenariats, pour des raisons artistiques. Mais c’était aussi le cœur du projet. On se veut interdisciplinaire et à Toulouse c’est pas trop ça, tu as le cirque, la musique, les arts contemporains.

Et encore, même en matière musicale, tu as beaucoup de cloisonnement par genres.

Bastien : Pour moi ce sont les publics qui restent cloisonnés.

Le public est cloisonné par ce qu’on lui propose ? Ou alors le programmateur propose car son public est cloisonné… C’est difficile de le savoir ! 

Bastien : Tu soulignes quelque chose dont je parlais avec des amis dans une autre structure dont je fais partie (Le Prisme). On se demandait comment décloisonner les publics. On essaye aussi de le faire musicalement avec Jardins Synthétiques. La programmation n’est pas qu’électronique bien que ce soit sa dominante. Aujourd’hui on a de la folk, on a eu du hip hop, du rock, des musiques du monde. Décloisonner, c’est le propos qu’on a depuis le départ.

Comment on construit une programmation cohérente quand on mélange musique, expositions, sculptures, danse ?

Pierric : Chaque année, on tourne autour d’un thème central, fédérateur : cette année dessein de mode, protection et projection de soi. Ça nous permet de raccrocher les wagons en arts-plastiques et en danse surtout. La chose la plus délicate c’est avec la musique. Là on fait plutôt un mélange de ce qu’il se fait sur les plus jeunes créateurs, mais également avec des échantillons locaux et aussi quelques artistes qui ne sont jamais passés à Toulouse.

Bastien : Dans La direction artistique au niveau des musiques de Jardins, il y a plusieurs items. Le premier, faire jouer autant que possible des artistes n’ayant jamais joué à Toulouse. C’est pas une exclu demandée, mais recherchée : si on propose un projet qui a déjà joué 4 fois, je veux dire à quoi on sert ?

Par contre j’imagine que tu peux proposer un projet qui revient, mais avec une autre offre artistique.

Bastien : Oui et ça a déjà était fait. Exemple Arandel était déjà venu à Toulouse, le projet est revenu jouer une création sur le Festival, après une micro résidence à la Chapelle des Carmélites, c’était exceptionnel ! Cette année, Mondkopf, ancien toulousain passé beaucoup de fois ici, et il a aussi été propulsé par les Siestes Electroniques… Ça m’intéresse car il présente un nouveau projet, Autrenoir, avec Greg Buffier de SAAD. Et ça n’a rien à voir avec SAAD et Mondkopf. Tom Terrien a joué plusieurs fois mais ça n’a jamais rien eu à voir. Sound Sweet Sound pareil ! Même si je m’occupe d’eux à côté, ils n’ont jamais proposé les mêmes choses.

C’est rare chez nous je trouve des festivals qui proposent des créations. C’est le cas aussi de Toulouse d’été ! 

Bastien : On a un propos un peu différent de ce qui se fait, ici et en France, où on est très peu à tenter ces choses-là. Il y en a d’autres hein mais peu. C’est formidable de pouvoir le proposer, avec les moyens qu’on a. Je trouve ça excitant aussi de pouvoir faire ça plutôt que de programmer sur catalogue, c’est à dire les même artistes que partout ailleurs.. Je prends des paris, des fois ce sont des gens que je n’ai jamais vu !

Pierric : Ce constat-là c’est un peu le même pour toutes les disciplines que l’on met en avant. Pour la danse, Emeline notre co programmatrice, construit un partenariat depuis 3 ans avec le Centre de Développement Chorégraphique. En arts-plastiques on veut défricher et laisser la place à de jeunes artistes, pour des choses qui n’ont jamais été vues. On a eu des commissaires d’expositions très différents : Anaïs Delmas, Samuel Pivot, depuis 2 ans c’est Anthony Dominguez avec 3 approches très différentes. On a des artistes qui exposent pour la première fois et c’est un pari : même eux on doit les accompagner car ils n’ont jamais exposé, tenu ces délais, nourri leurs discours. C’est bien plus excitant que d’avoir un habitué qui vient et pose juste ses œuvres.

Bastien : Tu prends des risques et tu tentes la fraicheur, c’est cool !

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C’est aussi un festival qui n’oublie pas la scène locale, musicalement je pense à Mirror et à Augustin qui rejoint la prog ! Même lui, qui joue dans Kid Wise et After Marianne, les gens qui le connaissent avec ces groupes vont être surpris par ce concert…

Bastien : Oui, nouveauté, Augustin Charnet qui remplace Kyson, qui est malade et ne peut assurer son concert. Augustin jouera des improvisations au Piano et au Roli, instrument tout à fait novateur.

On l’a vu en première partie de Gravity, il marie le moderne et l’ancien avec une aisance folle ! C’est un très joli projet. Pour en revenir au festival, votre public vous suit à travers les disciplines artistiques ?

Pierric : Si je prends l’exemple de la soirée du vendredi, danse contemporaine en soirée, on se retrouve avec un public d’habitués de la danse contemporaine. Quand bien même, ils n’ont qu’à passer la porte du Musée pour tomber sur les oeuvres d’arts-plastiques : ils vont visiter en attendant le démarrage, on essaye de faire découvrir au public d’une discipline, une autre discipline. Pour la musique c’est le même cas, on fait aussi des concerts dans les oeuvres donc le croisement il est entier. Si tu veux assister au concert, t’es plongé au coeur du musée.

Bastien : C’est ce qu’il se passera justement pour Augustin. Au Musée Saint Raymond, dans la salle des bustes. Ce que j’ai remarqué depuis le début, c’est qu’on a un public d’habitué, qui s’élargit chaque année. On est autour de 8 000 et pour nos 5 ans on est monté à 10 000 spectateurs en 2014.

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Le festival Jardins Synthétiques au Musée Saint Raymond

Si je vous demande à tous les deux votre plus beau souvenir sur le Festival ?

Bastien : Wow…

Pierric : Je pense à un projet qui a été très dur pour moi et les équipes. C’est Romain Tardy, la vidéoprojection en 2012. C’était dur à préparer, 6 mois lourds et je ne mâche pas mes mots. Mais très beau aussi parce que dans le lien avec l’artiste, c’était nouveau de travailler avec une si petite équipe. Normalement il a un assistant délégué, au moins 2 producteurs, une régie technique… On n’a pas ce staff. C’était dur pour moi et lui aussi, il voulait arrêter à un moment. Mais finalement il s’est remis en scène, et le soir du show c’était le plus beau moment, les larmes aux yeux.

Bastien : Ce moment c’est vrai était exceptionnel. J’en ai plein en tête ! Je pense au dimanche soir de la première année, il pleuvait des cordes. Un concert de Nathan Bell au banjo en solo, ça nous a retourné le cerveau.

C’est marrant on a interviewé Jeanne-Sophie des Siestes Electroniques, son plus beau souvenir c’est aussi un concert sous la pluie.

Bastien : Oui, c’était Luke Abbott, y’avait aussi Tom Terrien ! Par contre un moment fou pour moi, c’est la fois où on reçu Squeaky Lobster, un artiste belge qui était venu en avion avec son agent. Bruxelles Carcassonne, Carca Toulouse. Le concert se passe bien, c’est génial. Le lundi fin de festival, on range on est tous lessivés. Et l’agent nous dit « Ca serait bien de nous ramener à l’aéroport ». Je regarde l’heure, je lui dis « On est bien » sauf que c’était de Carcassonne le départ, on était déconnecté on pensait que c’était Blagnac. Donc là on est parti direct à Carcassonne, j’ai jamais conduit aussi vite, en croisant les flics, sans savoir si ça passait. tu les vois au péage e tu te dis « Ca y est c’est pour moi ». En plus je conduisais la voiture d’un bénévole (rires)… 0n est arrivé à 5 minutes du décollage et il a eu son avion. Sur Le retour, j’avais plus un rond pour payer le péage, ma carte bleue bloquée, j’ai chialé pendant 2 heures, tu lâches tout. Ca m’a beaucoup marqué en tout cas ouais.

Ce projet que vous menez, ce Festival, vous avez des envies particulières pour le faire évoluer ? 

Pierric : Aujourd’hui, la volonté c’est de développer et d’explorer d’autres lieux. On est à Saint Raymond depuis 7 ans maintenant, on est aussi à la Fondation Espace Ecureuil, à la Chapelle des Carmélites, à l’auditorium Saint Pierre Des Cuisines. On cherche des lieux…

Le lieu idéal pour toi ?

Pierric : Le Musée des Augustins ? Le Cloître des Jacobins ? C’est en train de se faire, ça met du temps à se mettre en place car ils attendent qu’on soit reconnu, mais aussi parce qu’ils sont très demandés et ont peu de temps dans l’année pour le laisser à la programmation de gens extérieurs.

Bastien : On a aussi d’autres idées et rêves, développer des programmations vraiment singulières : tu bosses 5 projets à l’année, 5 gros projets. Là c’est très bien ce qu’on fait mais j’ai envie d’aller plus loin. Je parle de ce que je maitrise hein, la musique donc. Faire entrer la musique beaucoup plus en symbiose avec le lieu où elle est. Imagine une grosse création à Saint Pierre Des Cuisines… J’ai un rêve c’est RYUICHI SAKAMOTO.

Pour finir, vous avez un projet qui vous tient particulièrement à coeur dans la programmation 2016 ?

Bastien : Moi je suis très content des plateaux musicaux qu’on a monté, qu’ils soient découvertes ou têtes d’affiche. Je peux pas en préférer un à un autre. Après les projets-là je les connais tous, sauf Autrenoir ouais ok je les ai jamais vu donc j’ai peut-être un peu plus envie de le voir, ils sortent juste de résidence.
Pierric : Pour moi c’est compliqué aussi, notre programmation est très complémentaire et elle est faite dans un équilibre même entre disciplines et chacun apportera quelque chose. François Chaignaud, je suis très enthousiaste à l’idée déjà de le recevoir à Toulouse. Après, en arts-plastiques on a de très belles propositions. J’ai peut-être passé plus de temps sur une donc je suis peut-être encore plus attaché à sa réalisation, mais ce n’est pas une questions de qualité de travail, c’est Rémi Groussin à la Chapelle des Carmélites. Il me tarde de le voir !

Merci à vous deux ! Et on se revoit sur le Festival qui commence le 6 octobre et mobilise 7 personnes dans l’association et une quarantaine de bénévoles.

Rémy

 

 

Créateur d’Opus, Rémy est à la fois rédacteur et photographe dans notre media. Un mélomane qui écoute aussi bien du rock que du rap ou de la pop, et qui aime fouiller la scène locale.
C’est également lui qui gère le projet Focus d'Opus