Les Siestes Electroniques : «La possibilité d’écouter des musiques qu’on n’écoute pas habituellement »

Le festival des Siestes Electroniques arrive du 22 au 26 juin, toujours au Jardin de Compans. Juste avant cette 15e édition, on est allé rencontrer Jeanne-Sophie, responsable communication et partenariats de cet événement gratuit qui s’est installé comme un incontournable de l’année musicale toulousaine.

(Crédits photos illustration de l’article Cédric Lange / Pauline Maître)

Bonjour Jeanne-Sophie. Les Siestes reviennent pour une nouvelle édition 2016. Des nouveautés dans le format pour cette 15e édition ? 

Des premières françaises et quasi tous les artistes viennent à Toulouse pour la première fois ! À l’exception du ciné-concert à l’American Cosmograph (ex-Utopia) la veille du Festival, le mercredi 22. Viendront alors deux artistes qu’on connait bien, avec qui on a déjà travaillé : Vincent Moon qui est passé par notre édition au musée du quai Branly. Il nous a aussi accompagnés quand nous sommes allés au Vietnam. Son cœur de métier c’est vidéaste, il bosse les images, et son sujet c’est la musique dans toutes les communautés du monde. Il va toujours chercher dans des coins très reculés, avec un regard étonnant et une humanité assez débordante, des projets musicaux dont nous n’avons pas idée de notre point de vue de petits français qui écoutent de la musique sur Internet.

En l’occurrence, il fait une création avec un artiste qu’on a également fait venir en 2012, Morphosis, qui utilise là son vrai nom Rabih Beaini, libanais qui lui, habite à Berlin, qui lui fait de la musique électronique. Il avait fait un live pour notre première année à Compans-Caffarelli. Tous les deux nous font une créa originale, une première mondiale.

Après, pour revenir sur le format du festival, des nouveautés à proprement parler, non, parce que la recette originale fonctionne bien. Nous avons des artistes assez festifs, joyeux, foufous pour cette édition et le côté anniversaire se ressentira ! Cependant il n’y a pas de soirée club . Comme les précédentes éditions nous avons laissé l’espace nocturne aux organisateurs toulousains qui proposeront des soirées off qui viendront prolonger les après-midis dans le parc (Bikini, Connexion, Plat-Up, Rex).

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Crédit Cédric Lange

Depuis 2 ans, le Festival ne dévoile pas sa prog’. C’est un super pari, et les gens suivent ! C’est quelque chose de possible plutôt par la gratuité ou c’est que le festival est bien installé et les gens viennent, j’allais dire religieusement…

Plusieurs choses nous permettent de faire ça. Déjà l’ancienneté oui, quand on a fait ça l’an passé, nous avions 14 ans, nous étions conscients d’avoir déjà un public. Nous portons aussi ce nom, qui en tant que tel est inspirant, évocateur, non ? Siestes + électroniques, une espèce d’oxymore. « Électroniques » renvoie à quelque chose d’industriel, de rythmé, alors que « siestes » c’est tout l’inverse, apaisé, calme, statique. Ça inspire pas mal de monde et je pense que beaucoup de personnes viennent pour la première fois aussi pour ce nom. Nous nous en sommes rendu compte avec l’événement Facebook de l’édition parisienne.

Ensuite, on n’a jamais fait de têtes d’affiche à proprement parler. Les gens qui suivent beaucoup la musique électronique connaissaient en partie la programmation. Sinon, pas mal de monde venait à l’aveugle. L’idée est de venir découvrir de la musique, passer un bon moment dans un cadre qui permet d’être disposé à la découverte. Les Siestes offrent la possibilité d’écouter des musiques que nous n’écoutons pas habituellement. Notre public est habitué à ça. Il y a aussi un public pas forcément mordu de musique mais qui aime passer un bon moment en festival, se fichant finalement que nous annoncions la programmation puisqu’il venait à l’aveugle, en nous faisons confiance. L’idée l’an dernier c’était de formaliser ça :« testons, si on annonce ou pas est-ce que ça change quelque chose ? » Ca n’a pas changé grand-chose, c’était blindé l’an dernier dans tous les recoins du parc,  nous avions annoncé les noms 2 jours avant. Cette année nous avons lancé une playlist à l’aveugle avec les vrais sons de la programmation, si tu veux tu peux les shazamer mais certains titres sont tellement obscurs qu’ils ne sont même pas shazamables !

On a rencontré Antoine, programmateur des Curiosités, qui était admiratif du concept et disait que c’était le rêve d’un programmateur, de dire aux gens de te suivre aveuglement comme tu disais !

Pour un programmateur ça doit être un vrai kiff, les gens te font confiance. C’est quand même fou ! Le parti pris de Samuel Aubert, notre directeur artistique, c’est d’avoir voulu une direction artistique forte, affirmée. Il s’affranchit de pas mal de trucs et est assez libre dans sa façon de penser, c’est aussi ça qui permet d’avoir eu l’an dernier, sans annonce de la prog’, des gens qui venaient de Paris, Bordeaux, Rennes, Nancy, Lyon, Montpellier… Qui font le trajet exprès pour les Siestes, sans connaitre la prog. Bon le festival est gratuit mais tu as le déplacement et le logement. Ils font confiance, ils savent que dans le lot des choses vont les émouvoir, d’autres moins puisque la programmation est diversifiée.

Un autre point, c’est que le programmateur considère la programmation de façon horizontale. Tout aura sa place, jamais 2 concerts en même temps, chaque moment est réservé à l’artiste et le public peut en profiter. Aussi bien une musique expérimentale que pop, folklorique, rock… Tout est au même niveau, l’expérimental n’est pas mis en exergue parce que c’est un genre particulier. Tout est considéré à valeur égale. Après on jongle avec le format : des musiques plus intimistes que d’autres sont données le samedi et le dimanche sur une deuxième scène au milieu du parc, entre des arbres, pour favoriser la proximité avec l’artiste. Aussi, afin que tout le monde puisse profiter du concert, le son est rediffusé sur l’autre scène : là on a la place pour s’allonger dans l’herbe.

Et les artistes, ils réagissent comment par rapport à ça ? 

Nous leur expliquons le concept, puis libre à eux d’annoncer ou non leur venue toulousaine. Certains par exemple ont déjà balancé le fait qu’ils venaient, mais finalement ça a parlé à leurs fans, mais pas à ceux du festival, donc la prog est encore secrète pour la plupart des gens.

Un nom et une affiche 2016 très sombre, un Love qui coule, qui vieillit ou saigne, loin du visuel de l’an dernier ! Cet élément est travaillé de quelle manière ?

13255899_10154291058939009_2374953013153281139_nNous travaillons avec un graphiste, Pierre Vanni, basé à Paris mais originaire de Toulouse. Il a fait toutes les éditions du Festival, ou quasi, en tout cas il nous connaît très bien. Il sait nos méthodes de travail et notre manière d’appréhender la communication : la liberté avec laquelle nous choisissons d’avoir une posture ou non. C’est quelqu’un qui connaît notre exigence artistique. Il a une proximité avec l’art contemporain. C’est quelqu’un qui ne fait pas les choses au hasard. C’est le même qui nous a fait l’affiche de l’an dernier avec le chien sur fond rose et cette naïveté. L’an dernier il avait eu cette posture assez cartoon et pleine de joie, qui retranscrit l’esprit du Festival… Notre slogan c’est « Spread The Love ». Il a gardé le même slogan et sur cette affiche tu peux le prendre au sens littéral, un « Love » étalé quoi. Tu peux le lire dans le programme, il s’explique. Et puis il nous avait fait plein de propositions, qui ne collaient pas, pas en lien avec notre état d’esprit à ce moment-là. Il nous a envoyé ce visuel. Dans l’équipe la réaction immédiate était « c’est ça ! ». Après, quand on a montré l’affiche, certains se sont emballés et ont trouvé ça magnifique, noble. D’autres ont trouvé ça sale, reboutant, dégoulinant. Tout ça n’est qu’interprétation. Qu’est-ce qu’une image nous renvoie ? C’est intéressant de se poser deux secondes et de s’interroger sur nos réactions devant des propositions artistiques, qu’elles soient visuelles, musicales, sensorielles. Parfois on se sent bousculé là où notre voisin s’emballe. Pareil avec la musique ! Selon moi, ce visuel rejoint les propositions « aventureuses » que nous faisons au public en tant que Festival.

Plus on propose de diversité à un public, plus il en demande

En parlant de festival, vous arrivez dans la période où à Toulouse il y a une énergie musicale : juste après le Weekend des Curiosités, un peu en même temps que Rio Loco, avant Toulouse d’été. Comment se passent les relations avec tous ces acteurs ? 

Nous sommes tous très complémentaires, nous ne proposons pas la même chose. En revanche je suis persuadée que nous avons des publics en commun. Des gens qui viennent aux Siestes vont aussi à Rio Loco. Nous ne nous marchons pas sur les pieds, c’est bien qu’il y ait beaucoup de diversité sur un territoire, ça participe de sa vitalité. J’aurais tendance d’ailleurs à penser l’inverse : nous pourrions avoir encore plus de festivals ici, et ce serait bien ! Tu sais, plus on propose à un public de s’ouvrir, plus il est en demande. De ce fait, plus il y a d’autres initiatives… D’ailleurs ça se ressent dans notre off, on accueille volontiers des soirées d’autres organisateurs que nous. Nous ne sommes pas concurrents. Grâce à ces acteurs il se passe des choses toute l’année sur le champ des musiques électroniques ou expérimentales. Des super associations comme La Chatte à La Voisine font des super concerts. Une programmation très ambitieuse, a priori on n’a pas la même programmation mais on a le même public.

Après, tous les acteurs de la musique, personnellement, je les connais pas tous très bien, je ne suis pas une fille du terroir on va dire. Alors je connais ceux avec qui je suis en relation directe : Avant-Mardi, le Cluster Ma Sphère. J’ai l’impression que nous avons tous un regard bienveillant les uns sur les autres. Nous en tout cas, les Siestes, nous avons un regard bienveillant sur tout ce qu’il se passe sur le territoire.

La scène locale, vous la considérez dans votre programmation ou vous proposez plutôt au public toulousain de découvrir des artistes ?  Il y a par exemple beaucoup de premières internationales dans l’édition 2016…

On fait les 2 ! On regarde partout, Toulouse y compris. Dans les dernières pages du programme il y a tous les artistes que nous avons fait jouer, tu retrouveras des toulousains : Mondkopf, Saåad qui ont joués plusieurs fois, Hypnolove qui sont aussi originaires d’ici, même s’ils sont éparpillés à plein d’endroits, Aquaserge qui sont du coin : ils sont venus 2 fois. Ce sont ceux auxquels je pense, là, spontanément. Ceux que nous programmons, on se dit qu’ils ont leur place à Toulouse, mais aussi ailleurs.

Le Festival a deux antennes, cette année une date aussi à Séoul. Chaque date est calculée dans un festival à 3 temps ou chacune a sa propre vie ?

Je répondrais qu’il y a une cohérence globale dans le projet Siestes Electroniques : nos questionnements et notre manière d’appréhender la musique et de la travailler, de la mettre face à un public, se retrouve dans tous les projets. Dans la forme, ensuite, ils sont indépendants les uns des autres, même s’il y a une formule : proposer des musiques aventureuses de la façon la plus accessible possible. Créer les conditions les plus favorables à la découverte. Je rappelle qu’à Paris, c’est un projet singulier : nous puisons dans le fonds sonore du quai Branly avec des artistes qui travaillent à partir de ce fonds-là. À Séoul, c’est encore autre chose, ce sera dans le cadre de la saison croisée France-Corée, en lien avec l’Institut Français, comme on est allé au Vietnam ou au Congo.

Et pour l’édition 2016, est-ce qu’il y a un projet que t’attends tout particulièrement ?

Les projets que j’attends particulièrement ? Le 2 (le premier du jeudi) : ça va être fou. Un projet RnB complétement dingue, la personne qui vient utilise le RnB, les paillettes, ses danseurs, pour servir sa musique, un mise en scène totale. Ça va être un truc en décalage avec l’idée qu’on se fait de la programmation des siestes. Je projette pas mal de choses sur ce concert, j’imagine aussi un concert super énergique, à titre personnel, ça me fait marrer du RnB façon MTV aux Siestes.

Ensuite, rien à voir mais l’artiste 8 sur le programme : un groupe des pays de l’Est, mais qui sonne plus oriental, avec un trame musicale très narrative, envoûtante. Quelque chose qui brouille les pistes. Très chanté, hyper chaleureux. Ça va être un moment apaisé, idéal pour faire la sieste.

À titre personnel, quel serait ton plus beau souvenir sur ce Festival ?

Ma première édition a été la plus marquante. Je suis venue à Toulouse exprès pour les Siestes. Aujourd’hui c’est ma 5e édition. Cette année-là il y a eu un concert de Luke Abbott, qui se passait sous la pluie.  Aujourd’hui je peux affirmer que tous les concerts qui se sont passés sous la pluie sont mes préférés (rires). Nous étions sous tension toute la journée, pour moi ce fut un moment libérateur, on était là, on dansait, on s’en fichait, il se passait un truc hyper généreux. C’est peut-être la présence de la pluie sur la peau je ne sais pas. Un effet sensoriel, ça doit être peu euphorisant !

Peut-être un côté enfantin quand on est gamin on adore jouer sous la pluie !

Exactement ! Et un lâcher-prise total et intégral. Quand la musique joue de cette libération c’est hyper bien.

Donc tu veux de la pluie à partir du 23 juin ? (rires)

Soyons honnêtes, pour les affaires ce n’est pas ce qu’il y a de mieux, mais pour vivre des supers moments… D’ailleurs en général le public qui reste est génial. Des gens qui se sont fait hypnotiser, qui font abstraction de la météo, ils sont là, hyper vivants.

J’aimerai qu’on s’arrête un peu sur ton travail de chargée de communication pour le Festival. Comment tu opères, quelles sont tes contraintes éventuelles ?

Je dois être honnête, je déteste la communication et ce milieu. Ce qui me permet peut-être d’avoir un regard critique sur ce travail. Ce qui m’anime, c’est le projet des Siestes, j’en parle très spontanément. C’est assez facile pour moi d’en parler, je maîtrise plutôt bien le sujet. Après j’adapte à mon orateur : partenaire, journaliste ou quelqu’un d’important. Il en ressort que je suis convaincue que le projet que je défends est intéressant. Il y a cette passion, indéniable. Après, si je continue d’être honnête, je ne peux pas fonctionner qu’à l’instinct : il y a de la stratégie et j’ai fait des études en ce sens. Je suis assez méthodique et ça joue en ma faveur. Je suis aussi dans une structure adaptée à ma vision de la communication : être libre. Quand j’ai une idée, par exemple l’envie de montrer le projet à travers un certain spectre, de creuser un sillon, j’ai le droit de le faire. J’en parle avec mon DA et mes collègues, nous prenons des décisions et je peux expérimenter plein de choses. Je pense que dans beaucoup d’institutions et de structures culturelles, les gens sont moins libres. Je détesterais ça…

En matière de communication, je fais tout ce qui est rédaction, communiqué, relations presse, relances téléphoniques, mais à aucun moment mon métier est chiant parce que le sujet reste passionnant. Ce n’est pas un problème pour moi de faire de la relance téléphonique si c’est pour parler des Siestes. Au pire des cas, le mec me dit « ça correspond pas à notre cible » je vais lui demander quelle est sa cible, puis on va parler des Siestes, et je serais contente. Bon les partenaires c’est un peu plus délicat parce qu’il y a une dimension financière derrière et sûrement que les chargés de partenariat quand ils défendent le truc devant leur direction, ils le font avec moins de ferveur que moi (rires).

Autre truc de dingue, je suis quand même parti au Vietnam dans un cadre super cool, on a découvert des artistes et un pays sur place, le faire avec ton métier c’est un super truc ! C’est un super job mais je ne le ferais pas pour n’importe quoi. Il faut que le projet ait du contenu.

Et pour finir si tu voulais nous faire découvrir 2, 3 projets ?

Happy Meals ça peut être un sacré tube : ce sont des artistes de Glasgow qui chantent en français.

Rebolledo, j’ai écouté son dernier album hier, c’est un des mecs de Pachanga Boys. La pochette est immonde mais c’est un super album. Il était venu aux Siestes il y a quelques années, un clin d’œil au festival.

Et Khidja, c’est un pote qui m’a fait découvrir ça (j’espère qu’il lira cette interview jusqu’au bout, s’il la lit !) Ils viennent de Roumanie. Leur dernier truc qu’ils ont sorti, Drums of Taksim, est assez politisé, un morceau qui commence par un discours et qui progressivement devient complètement hypnotisant.

Happy Meals, Rebolledo et Khidja, c’est vraiment ce que j’écoute en ce moment !

Merci à toi et rendez-vous au jardin de Compans pour les Siestes du 23 au 26 juin, et à l’Utopia pour l’ouverture le 22 juin ! 

Rémy

Créateur d’Opus, Rémy est à la fois rédacteur et photographe dans notre media. Un mélomane qui écoute aussi bien du rock que du rap ou de la pop, et qui aime fouiller la scène locale.
C’est également lui qui gère le projet Focus d'Opus