Michel Cloup : un périlleux backflip au dessus du chaos
A l’origine de certains des projets les plus excitants de la scène hexagonale (Diabologum, EXPerience, Binary Audio Misfits…) Michel Cloup est de retour avec “Backflip au dessus du chaos”.
Un nouvel album qui prouve une nouvelle fois que celui qu’on présentait comme le #Fauve pour les vieux reste ce félin à la verve affutée, portant un regard lucide sur notre époque.
Ce matin, quand tu as ouvert les yeux, le monde avait changé ?
Oui, chaque jour un peu plus laid.
J’avais envie d’une décharge d’énergie… Il fallait que ça crie et que ça bouge et vu les réactions à nos concerts, je n’étais pas le seul à avoir ce besoin là.
Si un jour, on m’avait dit d’embarquer avec Michel Cloup pour y mourir de rire et de joie, j’aurais eu du mal à y croire. Tu as envie de sortir de cette image de chanteur triste et pessimiste comme tu l’évoques dans ce nouvel album ?
Je ne sortirai jamais de ce créneau, on m’y a enfermé il y a bien longtemps déjà, même si mon prochain disque était un album festif rempli de soleil et de soul music, on continuerait à me classer dans cette catégorie. Je n’ai pas écrit ce morceau ou cet album pour cette raison là.
J’avais envie d’une décharge d’énergie, après une période difficile pour tout le monde et encore plus morose et déprimante que d’habitude. Il fallait que ça crie et que ça bouge, j’en avais besoin et vu les réactions à nos concerts, je n’étais pas le seul à avoir ce besoin là.
En attendant demain, qui ouvre ce nouvel album, sonne comme un état des lieux avec des références au passé, à Diabologum, EXPerience, est-ce un album qui regarde en arrière ou est-ce que tu l’as voulu comme un album qui marque un renouveau ?
Les deux. Pour avancer, il y a toujours besoin de regarder dans le rétroviseur, pas trop longtemps, juste pour savoir où on est.
J’avais bien conscience qu’avec le nombre d’années à mon compteur, je n’allais pas arriver avec quelque chose d’absolument inédit non plus. On regarde dans le rétroviseur juste avant de doubler. Il fallait que je change de méthode de travail, je tournais en rond et je m’ennuyais. Après dix années en duo dans un format épuré, j’avais besoin de passer à autre chose. Il fallait tout casser pour retrouver un frisson. Je
devais me retrouver seul, j’en avais envie.
Ce backflip semble partagé en 2 mouvements avec une 1ere partie avec en forme de montée, une certaine urgence à laquelle on n’était pas habituée, un lâcher prise qui donne envie de danser et puis la descente avec des morceaux autour du deuil, de la vieillesse… un peu comme si cette colère laissait place à la tristesse ?
C’est une interprétation personnelle que j’entends et comprends. La colère est peut-être un peu moins forte sur la face B, mais la tristesse est là dès le début de l’album. Elles sont souvent main dans la main. La seconde partie des textes aborde des sujets plus personnels. L’idée c’était de ne pas faire non plus un album accablant mais plutôt dynamique et énergique sur la durée.
Un vieux con c’est ennuyeux, c’est largué, c’est incapable de discuter avec les jeunes, ça écoute toujours les mêmes vieux disques en disant c’était mieux avant.
Vieillir, c’est vieillir … Après plus de trente ans de musique, on a peur de faire l’album de boomer ?
Je dirais juste de vieux con. Et oui, je n’avais pas envie de ça. Un vieux con c’est ennuyeux, c’est largué, c’est incapable de discuter avec les jeunes, ça écoute toujours les mêmes vieux disques en disant « c’était mieux avant ». Je voulais bien sûr échapper à ça mais surtout retrouver une certaine juvénilité quand à la composition et l’enregistrement d’un disque. Dans ma manière de travailler, j’avais besoin de retrouver
une certaine fraîcheur, une certaine insouciance, j’ai beaucoup improvisé avec mon ordinateur, j’ai fait des choses assez peu professionnelles, bref je voulais m’amuser comme un gamin, essayer, me planter, effacer, continuer.
De nos jours, on a malheureusement l’impression que l’engagement des artistes se limite à publier des posts concernés sur les réseaux. As-tu l’impression que le public attend plus des artistes ou justement qu’ils doivent se limiter au divertissement ?
Chaque artiste gère ça comme il peut. Il y a eu tellement d’impostures de la part d’artistes « engagés » et il y en a encore. Je pense que le public attend surtout des artistes qu’ils produisent des choses fortes à travers leur art, que ce soit politique ou non (ce n’est pas une obligation pour moi). Par contre, un artiste qui divertit, ça ne me suffit pas. Je ne mange pas de pop-corn en écoutant des disques. J’ai besoin d’émotion et de vérité.
Pour le projet A la ligne tu es allé dans un Emmaus monter un groupe avec des gens du centre, pour toi, il passe par là l’engagement artistique, au plus près ? Est-ce une expérience que tu vas rééditer ?
Je mène ce type d’actions culturelles depuis une quinzaine d’années, avec des publics en réinsertion, dans des centres sociaux, parfois avec des scolaires. C’est épisodique mais toujours là. C’est un moyen d’aller au-delà du simple fait d’enregistrer et de jouer dans le circuit traditionnel. Ce sont des expériences très enrichissantes pour moi aussi.
C’est quelque chose que je maîtrise car c’est artistique. Je n’ai jamais pu aller au-delà de ce type d’engagement. J’ai essayé mais je crois que je n’en suis pas capable. J’ai tenté d’assister à des réunions politiques et ce n’est pas pour moi. Ce format d’actions culturelles sur un travail artistique, c’est mon rayon, et quand ça fonctionne c’est beau, c’est fort, ça remue tout le monde y compris moi et à ce moment-là j’ai un peu l’impression de servir à quelque chose.
Ciao bye bye signe un au revoir à Joseph Ponthus, auteur d’A la ligne, Feuillets d’usine que tu as mis en musique, cette rencontre et ce projet t’ont-ils donné envie de mettre en musique une autre œuvre ?
Oui j’ai d’autres projets mais il est trop tôt pour en parler.
Tu joues en 1er partie de Virginie Despentes qui vient de sortir un livre intitulé “Cher Connard”, un avis sur les réseaux sociaux ?
C’est devenu un véritable cauchemar. Je ne les utilise que pour poster des infos sur mes projets. Mon avis en trois lignes sur tel ou tel sujet ? Je pense que tout le monde s’en fout, et c’est réciproque. C’est devenu un miroir anxiogène de toute la bêtise et la laideur de notre époque. C’est devenu difficile d’y trouver des contenus décents, c’est un café du commerce géant, squatté essentiellement par des abrutis, à tel point que même des gens intéressants se mettent à tenir des propos indignes de leur intelligence ou à relayer de fausses infos.
Beaucoup d’hommes, surtout ceux de ma génération, sont en panique… ils se sentent attaqués et ont des réflexes machistes ou paternalistes.
Tu repars en live en formule trio avec Manon Labry à la guitare / basse, la vague Me Too a t’elle fait évoluer les mentalités ?
Malheureusement pas assez. Beaucoup d’hommes, surtout ceux de ma génération, sont en panique. Et plutôt que d’essayer d’écouter et de comprendre, ils se recroquevillent dans des postures de victimes, ils se sentent attaqués et ont des réflexes machistes ou paternalistes. Ils ne comprennent pas la colère ambiante car ils n’ont jamais été confrontés quotidiennement à ce que peuvent vivre les femmes (on
pourrait aussi parler d’homophobie, de racisme, il y a plein d’autres systèmes d’oppression passive comparables). Ils pensent que ce n’est pas de leur faute, ils n’ont jamais rien fait de mal, eux. Et pourtant, sans nous en rendre compte, à cause de notre éducation, nous, hommes, avons tous contribué à ce système. Il faudrait juste arrêter de se regarder le nombril en chouinant et se remettre un peu en question. Il y a encore beaucoup de travail à faire sur la place des femmes dans la musique ou dans l’art en général.
Heureusement que les jeunes générations sont un peu plus performantes sur ce sujet, je dis bien un peu plus, la nuance est importante car ce n’est pas non plus une généralité. Il faut plus de femmes sur scène, à la technique et partout ailleurs dans la profession. Il faut qu’on arrive à avancer ensemble. C’est un sujet
compliqué qui progresse malheureusement à petits pas. Il faudrait passer à la vitesse supérieure. Ce que je peux entendre dans la bouche d’hommes que je croise ici et là est parfois absolument affligeant et pathétique.
Des premiers pas avec Lucievacarme au lycée, cela fait plus de 30 ans que tu t’agites dans le secteur culturel toulousain, quelle est son évolution ? Dirais tu que c’était mieux avant ?
Toulouse a une offre culturelle riche en ce qui concerne l’art, le théâtre et le cinéma, avec des lieux proposant de belles programmations. Les musiques actuelles, par contre, n’ont jamais été très soutenues ou développées à un niveau municipal.
Quand je vais à Nantes, Rennes ou Lyon, je réalise chaque fois à quel point nous sommes en retard. Heureusement qu’il y a un secteur associatif à Toulouse qui rattrape le coup, merci à eux, même si au final eux aussi luttent pour survivre et ne sont pas ou peu soutenus par les autorités locales, quand elles ne leur mettent pas simplement des bâtons dans les roues.
Certains chanceux pourront découvrir ce nouvel album en live au Metronum en 1ère partie de Virginie Despentes mais pas de vrai release party, Toulouse est-elle devenue un bastion culturel imprenable pour les groupes indés ?
La vraie release party va arriver avant l’été. Nous allons l’organiser avec La chatte à la voisine, des vieux copains. Il y a un vrai problème à Toulouse actuellement : nous manquons surtout de salles, à savoir un ou deux vrais clubs en ville de 200 ou 300 places bien équipés. Le réseau associatif alternatif est aux abois depuis le covid. Il y a des cafés concerts qui luttent aussi car ils sont régulièrement confrontés à des plaintes pour nuisances sonores. Ce qui est rageant, c’est que le public est là. Beaucoup de musiciens et musiciennes que je croise en France ont du mal à jouer à Toulouse dans de bonnes conditions. C’est triste.
5 groupes régionaux qui t’ont marqué ?
J’ai été marqué très jeune par la « compilation éphémère » de Radio FMR sortie en 1983.
Je ne sais pas si tous les groupes dessus étaient de la région mais j’ai beaucoup écouté ce disque, copié en cassette chez un copain.
Ton 1er souvenir de concert à Toulouse ?
Karen Cheryl en playback sur un podium Sud Radio au parc des expositions probablement à la fin des années 70.
Ton meilleur souvenir de live ?
Suicide en 1988 au (petit) Bikini, 20 minutes de concert, ultra rock’n’roll et pas une guitare sur scène, Hervé Sansonetto qui tenait les retours à cause du mouvement de foule. Ce jour-là je me suis dit : quand je serai grand j’aimerai moi aussi être un alien.
Si tu devais résumer ton Toulouse en 1 lieu / 1 chanson / 1 personnalité ?
1 lieu : mon quartier Saint-Cyprien, qui ressemble encore à un village et pas à une galerie marchande.
1 chanson : Le cercle parfait qui parle plus ou moins directement de Toulouse, écrite il y a 13 ans.
1 personnalité : Hervé Sansonetto, qui au tout début des années 90 m’a grand ouvert les portes de son club (le Bikini) pour faire des premières parties avec mes groupes de l’époque ou organiser des soirées indie Rock sans jamais regarder de haut ce jeune con de 18 ans que j’étais.
jusqu’au bout du tracé
jusqu’au bout du cercle parfait
Photo ©Billie Cloup