Grand Blanc : « Toucher les frontières du projet pour définir notre musique »
Ce concert s’annonçait comme l’un des moments forts du Weekend des Curiosités 2016. Et ça l’a été ! Quelques heures avant leur concert, on a rencontré Grand Blanc. Ensemble on a décortiqué leur univers et leur album. Un groupe qui nous a mis une belle claque sur scène comme on aime en prendre, et qui se livre en interview en toute transparence.
Bonjour Grand Blanc ! On vous retrouve à Toulouse pour le Weekend des Curios, quelques temps après une date toulousaine à la Dynamo : ça reste un beau souvenir ?
Camille : Ouais ! Elle est cool cette salle !
Vincent : Ça a l’air d’être un sacré spot de rockeurs.
Benoît : Apparemment elle a subi quelques changements…
Camille : Ici aussi ça a l’air cool, y’a une piscine aussi, dès que les interviews sont finis hop !
Votre premier album, Mémoires Vives, a été plus que salué par les critiques. Un opus qui sonne comme une balade nocturne en état d’ivresse…
Benoît : Ca nous est arrivé (rires)
Vincent : La description nous ressemble !
Benoît : Ça fait partie de l’album. Mais on ne roule pas bourrés ! Dans l’album il y a toujours de la nuit, toujours de l’ivresse, sous plein de formes. On n’est pas très originaux, on parle beaucoup d’ivresse mais ce n’est pas forcément physique. Y’a une grosse tradition littéraire là-dessus. C’est l’ouverture d’esprit à toutes les expériences qu’on peut faire.
Dans votre façon de travailler le texte, il y a beaucoup de répétition de phrases, notamment dans Evidence, Summer Summer dès le titre d’ailleurs, « Pas de prestige pas de vertige » dans Verticool et dans votre très belle Montparnasse, « Faites-moi taire »… En parallèle à des boucles musicales répétitives aussi ! C’est une signature ?
Camille : Ca c’est parce que Ben’ n’as pas d’inspiration (rires)
Vincent : En fait il a 5 mots de vocabulaire et on doit se démerder avec ça. Chaque fois on les jette en l’air et on en choisi 2 à répéter (rires)
Benoît : Y’a certains textes, dont Verticool que tu évoques, qui sont nés derrière l’ordi en faisant la production de l’album. On chantait quelques phrases qui sortaient de mes carnets, on les essayait sur plusieurs formes. Souvent pour faire des maquettes on faisait du copier-coller, ce qu’il nous arrive aussi de faire avec l’instrumental. C’est une esthétique qui plait vachement ! Elle nous parait assez cohérente avec ce qu’on vit, des rabâchages, une idée de rythme. C’est très important de donner un rythme à son existence, surtout quand on est en ville où tu te bats pour imposer ton rythme à ton milieu. La répétition c’est un procédé super simple, efficace, et qui nous va bien.
Vincent : C’est arrivé à tout le monde de répéter un mot plusieurs fois et de se rendre compte pour la première fois de comment il sonnait. Le sens du mot peut sortir, un autre sens peut arriver, dans Summer Summer par exemple tu peux perdre un sens et en retrouver un autre, summer, se meurt, tu ne sais plus ce que ça veut dire.
Benoît : Un mec qui a reçu un prix Nobel de littérature (Saint John Perse en 1960) pour sa poésie disait que les poètes, leur but était de rompre l’accoutumance, l’habitude dans la langue qui t’endort et fait que parce qu’un banc s’appelle un banc tu ne vas pas le regarder vraiment en tant que tel. Nous on n’est pas des poètes, on fait de la pop, mais on aime bien créer avec des jeux de son et de répétition, une étrangeté qui dans l’idéal pousserait les gens à réentendre un mot. C’est aussi le sens de la pochette ! Quand Max nous l’a présentée, ce phare de bagnole pété en très gros plan c’était une manière de voir un phare de bagnole qui n’existe pas normalement dans ta vie, tu t’approches pas autant en macro des objets qui t’entourent ! On peut voir les choses différemment si on y prête attention, si on se concentre dessus.
Ces répétitions on les trouve aussi dans le premier EP. Mais au niveau musical sur l’album on change légèrement d’ambiance, l’album est très pop, un rendu qui coule, presque liquide, qui rompt avec l’EP qui était plus noir et trituré.
Camille : Je pense qu’elle s’est faite naturellement. Il s’est passé 2 ans entre le moment où on a couché les chansons de l’EP et celui où on s’est posé dans cette maison pour composer l’album. On avait vécu des choses, on appréhendait la musique et la vie différemment. A l’époque de l’EP on avait moins de recul et on avait une sorte de hargne, des comptes à régler avec notre adolescence. L’album est le résultat juste d’un peu d’expérience, on était aussi un peu plus épanouis. On n’était aussi plus du tout angoissé par le fait de faire de la pop. Avant on se disait « non, il faut que ça soit sale et violent » et donc comme tu dis c’était noir. Là on s’est dit on fait de la pop !
Vous n’avez pas eu peur de perdre le public que vous aviez acquis avec cet EP ?
Benoît : Non parce que ce n’est pas un truc auquel il faut penser, on s’est forcé à ne pas y penser. Et puis les gens qui écoutent des groupes méga indés écoutent aussi des mecs comme Flavien Berger et ils ne voient pas le souci. Sur l’EP on était sur l’opposition entre la chanson française et la cold wave, on n’avait pas forcément la culture musicale. On s’est rendu compte qu’on pouvait être indépendant sans être véner. Une espèce de quiétude indépendante qu’on a apprise entre temps. Après on reste un peu véner, dans les morceaux il y a toujours des contre-points, les guitares sont là par touche mais plus en avant, le côté électrique de la gratte ou de la basse est utilisé différemment : plus en avant mais par petite touche. On voulait une palette plus large, un vocabulaire plus riche musicalement.
Camille : Ce qu’on a aussi beaucoup travaillé dans l’album, sans s’en rendre compte de prime abord, c’est les contrastes, c’est important pour Mémoires Vives. On peut faire des choses avec de l’air, des choses douces, d’autres moins denses, des violentes. On a essayé d’aller partout où on le pouvait pour essayer de toucher nos limites.
Vincent : On s’est rendu compte que pour être un groupe, t’es pas obligé de te cantonner à un style, de faire de la cold wave car Grand Blanc c’est de la cold wave. Grand Blanc c’est un groupe de musique, des envies, des goûts, tant que c’est nous qui faisons cette musique ensemble, ça reste Grand Blanc.
Benoît : En explorant les limites du truc, t’explore le fait qu’il n’est pas tout à fait fini. T’as une marge, une espèce de jeu entre l’espace que tu peux prendre et la limite que tu ne veux pas dépasser pour que ça te ressemble encore. Ça a été la problématique de l’album je crois. On a été surpris du résultat, tout le monde est surpris. Si tu mets les envies des 4 personnes sur le papier, ça ne résumera pas un morceau qui est sorti. Il y a un truc un peu mystique qui est sorti, Grand Blanc c’est aussi quelqu’un à la troisième personne pour nous, on a essayé de le connaitre, le chercher, le trouver, le dessiner.
Grand Blanc a hésité à s’exprimer en anglais dans le texte ?
Benoît : Ce qui nous intéresse dans la langue, c’est de créer sur les mots, la matière. On ne base pas nos textes sur des histoires, des idées ou des concepts qu’on pourrait exprimer dans une langue d’emprunt, on a besoin d’être dans une langue qui est très quotidienne. Cette langue on marine dedans depuis entre 25 et 28 ans…
Camille tu parlais de contraste… Grand Blanc c’est aussi cette rencontre entre des univers éloignés : Metz et Paris, ou dans votre rencontre avec la musique Camille qui vient du conservatoire avec une harpe et toi Benoit qui a appris la guitare sans savoir lire de notes…
Benoît : Ouais on n’y a pas réfléchi en fait, mais ouais !
Vincent : Ce sont des contrastes qui ne se contredisent pas (rires)
On note aussi beaucoup d’arrangements et d’effets sur vos voix, travaillées comme des éléments sonores. Quelque chose qui est inaliénable de votre identité ou on peut imaginer des voix pures à l’avenir ?
Camille : Pour le moment on ne sait pas ce qu’il va se passer car on n’a pas de limites. En revanche pour l’album c’était important de texturer nos voix, de les considérer comme tu dis comme des éléments de musique. Via des effets, un phrasé, un traitement dans le mix, de ne pas hiérarchiser et mettre la voix au-dessus. On se penche sur la voix autant qu’on se pencherait sur un pedal-board pour trouver un effet de guitare ! Pour ma voix en tout cas, dans l’album, on a essayé avec le réalisateur, de trouver un effet pour chaque chanson, comme on aurait un effet de gratte ou de synthé qui change pour chaque son.
Luc : La voix peut être considérée comme purement une métrique, ça peut être un élément de percussion, ça peut être une nappe, ça peut être un synthé ça peut être plein de choses ! On veut la garder comme un instrument autant que le reste.
Benoit : Il y a plusieurs choses, il faut utiliser nos deux timbres, de manières différentes. Ça peut être prendre un couplet puis un refrain, des moitiés de phrases entre Camille et moi, tu peux aussi arranger à la voix, faire des harmonies. On peut la traiter sur son timbre ou juste travailler son rythme. Ce qui nous intéresse, ce n’est pas d’écrire des textes sinon on écrirait des textes. Ce qui nous intéresse c’est quand t’as un mot qui est dit de telle manière, il prend sens car il est dit et produit de telle manière. Traiter les voix et être maniéré sur ce travail, permet d’affirmer que nos chansons sont sur un disque et pas sur une feuille ou des sites de paroles.
Camille : Bidouiller la voix ça m’intéresse trop ! Je vais essayer de pousser ce truc.
Une belle tournée arrive, avec une date aux Francofolies de la Rochelle, un festival qui rien que par son nom vous colle parfaitement !
Benoit : On est hyper touché de voir que… De loin on pourrait se dire que c’est un festival de gros trucs, très diffusés, hyper chanson. Nous on est très touché en fait d’être dans la prog de ce festival alors qu’on fait un truc où tu perds un peu les voix, les textes par moment c’est juste 3 phrases pendant 5 minutes. C’est touchant de voir que le projet peut être reçu par différents types de publics, de programmateurs. Ça nous arrive un peu depuis le début, c’est pas un truc qui nous fait chier et au contraire ! On est heureux de voir que le panel de ce qu’on fait peut plaire.
Camille : On est content quand on est programmé dans un festival assez généraliste comme les Franco, mais aussi quand on est dans une cave avec des gens qui font de la musique complètement barrée quoi. On est flatté dans les 2 cas !
D’ailleurs Grand Blanc, vous préférez les festivals ou les dates on va dire classiques en salle ? On se prépare différemment pour ce genre d’échéances ?
Luc : C’est 2 choses complètement différentes ! On sort de la première partie de la tournée, de l’album, beaucoup de salles en semaine, pas des grands lieux… Les gens viennent pour te voir, ils sont plus cléments, tu peux jouer tous tes morceaux, faire des pauses comme sur Tendresse. Les festivals tu dois aller chercher des gens qui sont de passage, ne te connaissent pas forcément. T’abordes pas ta setlist de la même façon.
Benoît : On préfère quoi ? On préfère tout ! On a des publics différents, des gens qui voient plus de la chanson, d’autres de l’électro… On est contents à chaque fois ! On a une petite préférence pour les publics un peu chauds qui viennent foutre le bordel sur scène et font des pogos. Mais on est content aussi quand on peut construire un concert un peu plus dans la retenue. C’est pareil pour les dates, la première partie de la tournée, entre une SMAC de 600 personnes ou une vieille salle à 200, ce sont des dates très différentes, des publics très différents. Le festival c’est le truc qu’on a mis le plus de temps à kiffer. Il y a un truc un peu plus divertissement. Le mec, je force le trait, mais il passe entre le camping et la buvette Ricard, il passe il tourne la tête. Au début on rechignait un peu plus à se dire qu’il fallait aller chercher les gens. Y’a un truc marrant et moins couillon qu’on ne le pensait, il y avait une lutte mais ça peut être respectueux.
Camille : Quand tu te mouilles, tu te mouilles vraiment, et que ça marche, c’est deux fois plus plaisant. Pour importe quoi, quand tu te mets à nu ou que tu fais un effort plus fourni que d’habitude et que tu vois que ça prend, ce qu’il y a à la clef est beaucoup plus kiffant.
Luc : Quand tu vois le type en maillot de bain Borat danser c’est que t’as réussi !
Vincent : Ou le mec avec le drapeau breton ! Ceux-là tu les ambiances t’as gagné ! (rires)
Si vous imaginez un festival idéal, ça se passe où et vous faites jouer qui ?
Benoît : Plutôt un lieu nature. Genre une forêt.
Luc : Y’a un festival aux Etats-Unis où ils jouent dans des clairières, ils mettent des scènes en bois, j’ai vu une vidéo de Diiv y’a pas longtemps ça a l’air chan-mé !
Camille : J’aimerais bien un festival qui se passe dehors, mais avec une scène dans la forêt avec pas mal d’ombres. Souvent j’aime pas les festivals en extérieur car ça manque de lumières.
Luc : Un festival entre une forêt, un château et un lac !
Benoît : Pour la prog, je sais pas, je pense que ça serait éclectique.
Camille : Tous nos potes qui font de la musique !
Benoît : Et ceux qu’on admire beaucoup. J’aimerais bien aussi un festival où il y ait des créations, des résidences. On a été invité à la maison de la poésie à faire une créa. On avait choisi de faire un concert de 45 minutes avec quasi que des inédits. On avait choisi de parler de la ville, c’est omniprésent chez nous. Ça parait con mais c’est un peu une obsession d’arriver à la dire, l’ordonner, la vivre. On avait bossé avec un mec de Bagarres et deux des Blind Digital Citizen, ça nous a vachement plus. T’as moins ce truc qui peut se faire dans le théâtre, la danse ou d’autres arts vivants, où tu t’arrêtes 3 mois, tu fais un one shot, t’essayes de faire des formats différents… J’aimerais bien qu’il y ait ça dans mon festival.
Pour finir, si vous aviez chacun un groupe à nous faire découvrir ?
Benoît : Moi c’est Usé. Il vient de sortir son album. De la noise mais quand même chantée, un peu produit pop. Cool et à la fois très très véner.
Vincent : Moi ça serait Idalg, un groupe québécois. C’est l’anagramme de Il Danse Avec Les Genoux rien que pour ça c’est génial (rires). C’est des mecs tout mignons et surexcités, ils font du garage, des paroles cinglées avec un accent. C’est ce que j’aime bien avec des groupes québécois ils en ont rien à foutre que la voix elle soit en avant, qu’on comprenne les paroles, comme Chocolat ou Corridor.
Camille : No Zu, un groupe avec qui on a joué la semaine dernière à Nantes. Je suis allé un peu par hasard à leur concert, c’était incroyable ! C’était ouf ! Ils font une sorte de disco hyper énergique, ils font des solos de bongo, de saxophone, y’a trois percussionnistes, deux chanteuses, ils sont je sais pas combien ! Tous des têtes incroyables. C’est un groupe qui est là pour faire danser. Souvent on danse sur un mec tout seul derrière un ordi. C’est très bien hein, mais là toutes ces personnes sur scène pour te faire danser, ça faisait longtemps !
Luc : Moi un duo assez connu maintenant, Kiasmos , 2 DJ suédois, une électro très léchée, ambiante, ultra planant c’est pour chiller total !
Merci à vous ! On a hâte de découvrir sur scène !
Benoît : Les balances se sont bien passées ! Merci à vous.
Rémy & Thomas