Interview Proleter : “Le sample, une autre façon de faire de la musique”
C’est l’un des artistes qui portent la scène électro toulousaine. Le producteur Proleter était l’invité de Radio Néo et Opus Musiques au début de l’été, l’occasion pour nous d’en savoir plus sur l’origine du projet de Ben et d’aborder son tout nouvel album, Life Playling Tricks…
Bonjour à tous ! Nous sommes aujourd’hui avec Ben, l’homme qui est derrière Proleter. Proleter aujourd’hui ce sont 20 millions de vues cumulées sur le web. Internet a eu une place importante dans ton éclosion ?
Ah complètement oui, je suis le prototype de l’artiste 2.0. Appelle ça comme tu veux, mais je suis complètement né avec Internet. Et aujourd’hui encore, je continue de grandir grâce à Internet. La question que je me pose c’est : est-ce que j’aurais pu avoir la carrière que j’ai aujourd’hui, il y a 10 ans ou 15 ans, en passant seulement par les maisons de disques ? Quand tu passes par le web, tu court-circuites un peu le système et les grands réseaux habituels.
Comment ça s’est passé, tu as posté une première vidéo et ça a fait le buzz ?
C’est pas aussi immédiat mais ouais c’est un peu ça. J’ai fait comme tout le monde, j’avais un Myspace il y a bien longtemps, dont j’avais assez honte. J’ai commencé a poster 2,3 trucs, c’était autour de 2010 je pense, et j’ai eu des retours qui m’ont surpris, j’étais inconnu de chez inconnu même sur la scène toulousaine personne ne me connaissait. L’année d’après, je me suis dit “fais les choses sérieusement, prends le temps de faire un truc.” J’ai fait mon premier maxi où il y a eu un titre en particulier qui a aidé à faire parler de moi et qui a fait boule de neige sur le net. Je suis passé de 200 abonnés à 15 000 en peu de temps…
Tu parles d’April Showers je pense. Ce morceau t’a ouvert des portes ?
Ouais c’est le morceau qui m’a ouvert toute les portes ! Et aujourd’hui encore, parce qu’en partie c’est le morceau qui me fait vivre. C’est mon Born to be alive quoi (rires) c’est un morceau qui a tout changé pour moi.
On parlait d’Internet, aujourd’hui ça veut dire réseaux sociaux. Tu postes très souvent en anglais : ton public est plus international que local ?
Complètement, c’est 80% de mon public. C’est pas du tout un truc snobinard pour faire genre je parle au mecs des States. Moi je préférerais m’adresser aux français mais le fait est que j’ai plus d’échos dans les pays anglophones donc on s’adapte ! (vous pouvez suivre Proleter sur Facebook)
Comment est ce que tu es devenu beatmaker ? Tu étais guitariste c’est ça ? Raconte-nous tout ça !
C’est un peu long mais je vais te la faire courte : grosso modo je suis parti de Toulouse au début des années 2000, je jouais beaucoup en groupe ici dans la région. Et puis je suis d’abord parti à Strasbourg puis ensuite sur Paris, je me suis retrouvé tout seul et je commençais déjà à bidouiller un peu, enfin j’était déjà intéressé par la production, sans savoir vraiment ce que c’était en définitive. Je composais, je créais des morceaux… Je suis entré dans ce monde via le trip hop au départ, qui après m’a amené à la culture hip hop par le biais des rencontres. Et j’ai découvert le sample, j’ai découvert une autre façon de faire de la musique complètement différente de ce que je connaissais jusque-là, et c’était ça qui était excitant.
Quand on parle de beatmaker, on pense souvent a DJ mais en fait c’est très différent. En quelques mots, comment est-ce que tu vois ton boulot ?
Tu fais bien de préciser, parce qu’effectivement pour le commun des mortels… Quand je bossais encore à côté de la musique, j’essayais de faire comprendre aux mecs avec qui je bossais que non je n’étais pas DJ, “gars je suis producteur !” Et les mecs comprenaient pas trop la diff’ quoi. Alors que moi tu me files 2 platines je ne sais pas quoi en foutre sincèrement, je ne suis pas DJ du tout. Un DJ il va passer, jouer les morceaux des autres et il va les mixer. Alors que moi je joue mes morceaux. Quelqu’un qui vient me voir sur scène il entendra mes morceaux : je crée mes morceaux, du début jusqu’à la fin de l’arrangement, de la ligne de basse aux drums en passant par les samples. C’est moi qui fais tout. Alors après on peut débattre vis à vis du sample, est-ce que c’est créer de la musique ou pas, il y a encore un débat sur ça mais sinon être producteur en tout cas c’est faire sa propre musique.
“Pour Life Playing Tricks, j’ai pris le temps de faire des choses, d’expérimenter” Proleter
Tu viens tout juste de sortir un tout nouvel enregistrement, “Life playing tricks”, ta première sortie depuis 2015, d’où est extrait Alone After All. Tu voulais prendre le temps avant de sortir quelque chose de nouveau ?
T’as bien résumé, j’étais à la fois sur la route, j’ai pas mal tourné. Je cherchais une dynamique différente du précédent album, donc j’ai pris le temps de faire des choses d’expérimenter. J’ai pris le temps de collecter beaucoup de samples. J’avais envie de passer des étapes même en termes de travail du son donc j’ai pris le temps.
Pour ce projet, tu as retenu seulement 6 titres parmi une cinquantaine de démos c’est bien ça ? Tu as été très exigeant finalement…
Ouais mais par nature être producteur c’est être exigeant envers soi-même, parce que t’es assez seul dans la démarche finalement sur la production. Après sur la scène on est plusieurs mais pour le travail de studio je suis vraiment tout seul donc c’est à la fois compliqué de faire ton travail et de le juger, t’as pas vraiment de filtre. Donc ouais j’ai fait beaucoup beaucoup de choses, j’ai produit beaucoup. Et ce qui est drôle c’est que les gens te disent « putain, il est de retour » ou « t’es pas mort ?», alors que toi t’as bossé comme un con pendant un an et demi, t’a pas arrêté, t’as l’impression de ne pas avoir vécu (rires). Mais ça les gens ne le voient pas et c’est très bien comme ça !
Justement, comment est-ce que tu composes et crées ?
Je pars souvent d’un sample. L’inspiration elle peut venir d’un sample qui va me filer une idée que je vais découper de telle ou telle manière… Je fais beaucoup de brouillons, mais vraiment par strates… J’ai des disques, j’écoute plein de trucs pour essayer de choper des boucles à droite à gauche, et une fois que j’ai fait ce premier travail qui est un peu le point de départ, je vais jouer avec en fait. Ces samples, je vais les prendre et m’amuser, les découper, commencer à voir s’il se passe quelque chose tout simplement. Il y en a tu joues avec et puis, je sais pas te dire, c’est là qu’il se passe quelque chose en définitive. Ca tient un peu de la mystique pour le coup.
Ce mélange des genres et des temps entre l’électro, le hip hop d’un côté et le swing de l’autre, c’est le cœur de ton identité ?
Ca l’est devenu en tous cas. Peut-être moins aujourd’hui parce que j’essaie de varier un peu les pistes mais clairement c’est avec ce son-là que je me suis construit. Aujourd’hui un mec qui va écouter mon son, j’espère que ça sera pas pris de façon prétentieuse, mais ce son là c’est ma patte, on le reconnait !
C’est ta plus grande fierté, en tant que producteur, qu’on reconnaisse ta patte ?
Ouais, j’en suis assez fier, parce que c’est le plus difficile en définitive ! Des producteurs aujourd’hui, il y en a partout, ça n’a jamais été aussi facile de se procurer du matos et de faire ça. Quand t’as un son identifiable malgré tout t’as fait une partie du chemin. Je suis arrivé nul part mais quoi qu’il en soit j’ai un son.
Est ce qu’il y a des styles que tu aimerais explorer en plus du hip hop et du swing ?
Ah complètement, je suis un névrosé de tout ça. J’aimerais faire tellement de choses mais après il faut se canaliser, l’idée c’est que si je fais un truc, je veux le faire proprement. Tu sais moi je viens du rock, donc c’est une musique que j’adore c’est ce que j’écoute énormément aussi. Enfin tu vois j’ai pas mis une casquette et j’ai pas renié ce que j’ai écouté pendant 20 ans avant.
Mais tu portes quand même une casquette ! (rires)
J’ai complètement une casquette (rires). Ce qui m’a façonné en tant que musicien et en tant que beatmaker c’est aussi tout le rock que j’ai écouté et que j’écoute. J’aimerais bien produire des artistes, d’autres groupes dans pleins de styles, genre tu vois des mecs comme Danger Mouse qui vient totalement du rock et qui produit aujourd’hui les Black Keys ou U2… Ce genre de trajectoire c’est sûr que ça fait rêver quoi ! Ca ce serait chantmé de se retrouver avec des groupes complètement différents et de foutre ta patte un peu sur ça.
Tu es aussi un artiste de live : y’a une scène qui t’a marqué tout particulièrement ?
J’ai très bon souvenir de Rock’n Solex à Rennes, l’année dernière, c’est un gros gros festival étudiant. On démarrait le vendredi soir et c’est une très grosse scène, t’as genre 10 000 places. 5 minutes avant de démarrer, c’était vide… mais c’était vide VIDE quoi… Et là le régisseur te dit “bon les gars, il va falloir y aller” et toi tu te dis bon on va faire un répèt’, on va regarder nos pieds ça va être sympa… Et en définitif il s’est passé un truc comme dans les films, on est montés sur scène, on a démarré devant 3 bonhommes face à la scène, et à la fin du premier morceau les gens courraient, arrivaient devant la scène et ça s’est blindé ! En 2-3 morceaux t’avais 2 000 personnes sous le chapiteau, c’était une soirée mémorable !
Si on te donne une baguette magique pour créer ton festival idéal, il se passe où et tu fais jouer qui ?
Je sais pas où il se passe mais il y aura Justice, les Strokes… Un Shadow peut être … Et il se passerait où, je sais pas… Peut-être en Crête… Ouais la crête c’est pas mal non ?
Et pour finir, est-ce que tu aurais 2-3 projets a nous faire découvrir ?
Ouais bien sur j’ai mon pote Kognitif un mec de Poitiers qui est un peu dans la même veine que moi, on se suit depuis qu’on a démarré. C’est super ce qu’il fait et c’est un mec que j’adore ! Il y a aussi le belge Poldoore qui fait une belle carrière aussi de son coté. Sinon après y’a des mecs de Saint Etienne que j’aime beaucoup aussi, ils font une espèce de hip-hop/reggae : L’entourloop, Je vous conseille c’est du bon !
Merci Ben ! Et à très bientôt…
Merci Opus et Néo !
Interview réalisé par Charline et Rémy